lundi 11 mai 2009

Reflexions sur l'ONU

Écrit par Charles ZORGBIBE - Comité Scientifique

I) Refonder l'ONU

La préoccupation d'efficacité des fondateurs des Nations Unies était apparue, d'emblée, dominante: il importait d'en finir avec la passivité de la Société des Nations entre les deux guerres mondiales. Le projet de nouvelle organisation prend forme à Yalta, au cours des entretiens de Franklin Roosevelt avec Churchill et Staline.
Les trois Grands peuvent dès lors convoquer la conférence constituante, qui s'ouvre à San Francisco, le 25 Avril 1945: la Charte de l'Organisation des Nations Unies est signée le 26 Juin. L'intention des vainqueurs du conflit mondial est de fonder un véritable pouvoir international; en pratique, de maintenir le directoire du temps de guerre!
A Yalta, les trois Grands introduisent dans le projet de Charte les dispositions qui garantiront le maintien de leur prééminence. La SDN n'était qu'un "club" d'Etats souverains et égaux, paralysé par le principe d'unanimité. La nouvelle organisation sera menée par un groupe d'Etats puissants, par un directoire efficace; les "chiens de garde", disait Rosevelt.

L'heure n'est plus à la constitution d'une sorte de "tribunal des nations", mais à la mise en place d'une gendarmerie internationale; selon René Jean Dupuy, l'objectif n'est plus "la paix par le droit" mais "la paix par la police des Grands".

On sait que l'ONU fut l'une des premières victimes de la Guerre Froide.

Le directoire des Grands était annihilé par les vetos répétés de tel de ses membres permanents. Les problèmes Est-Ouest essentiels -de la lancinante question de Berlin à la crise de Cuba et au dossier de la sécurité en Europe- échappaient à l'organisation. Les problèmes Nord-Sud suscitaient l'affrontement par Etats, coalitions ou mouvements de libération interposés, des deux Grands et de leurs alliés.

Les Nations Unies surent parfois s'adapter pour survivre dans ce climat hostile: de la résolution Acheson, qui permit de palier,pendant la guerre de Corée, la défaillance d'un Conseil de Sécurité paralysé, aux opérations de maintien de la paix, mises en place à chaud, lors de la guerre de Suez, selon la formule improvisée par le Premier Ministre canadien Lester Pearson. Mais, en 1982, le déclin des Nations Unies est tel que le Secrétaire Général, Perez de Cuellar, déplore ouvertement "l'érosion de l'autorité et du prestige des institutions intergouvernementales mondiales" et annonce un "nouvel état d'anarchie internationale"!

Sept ans plus tard, en 1989, l'ONU connait un soudain état de grâce: dès lors que l'Est et l'Ouest ne s'opposent plus,la lettre de la Charte de San Francisco peut être appliquée… pour la première fois depuis la création de l'organisation, en 1945! Ses membres permanents providentiellement réunis, le Conseil de Sécurité peut, désormais, voter des résolutions explicites, contraignantes. Pendant un demi siècle, il n'avait pu laisser que des consignes vagues aux Secrétaires généraux successifs, dont l'art consistait à évoluer en souplesse entre l'Est et l'Ouest.La crise provoquée par l'invasion du Koweït permet de découvrir un tout autre Conseil de Sécurité qui entend être "le gendarme", le bras séculier de la communauté internationale, et qui organise le boycott commercial, financier et militaire de l'Irak avant d'autoriser, le 29 Novembre 1990,le recours à la force contre le gouvernement de Bagdad.

Les interventions des forces de l'Alliance atlantique au Kosovo, à partir du 24 Mars 1999, puis de la coalition anglo-américaine en Irak, à partir du 20 Mars 2003, ont reposé le problème du "mandat" de l'ONU et du fondement juridique du déploiement préventif de forces en l'absence d'un tel mandat et à l'encontre de la volonté de l'Etat du territoire. L'ONU s'en trouve délégitimée. Au lendemain immédiat de la guerre d'Irak, la situation de l'ONU est particulièrement difficile. Les Cassandre lui prédisent le destin de la SDN, le naufrage dans l'impuissance… bien qu'en réalité le contexte soit différent.

Une véritable refonte de la Charte des Nations Unies semble nécessaire, voire la convocation d'une nouvelle conférence constituante, un "San Francisco II".

TROIS POINTS essentiels pourraient être rapidement abordés: l'établissement d'une instance indépendante d'évaluation des situations humanitaires; l'autolimitaion des membres permanents du Conseil de Sécurité; le retour au concept de "protection d'humanité.

-Les polémiques qui ont suivi le conflit du Kosovo (l'Alliance atlantique a-t-elle réagi à une épuration ethnique menée par les Serbes ou a-t-elle aggravé, par son intervention, ladite épuration?) sont révélatrices de la défiance que suscitent, dans une partie de l'opinion internationale, les arguments de l'urgence humanitaire. La mise en place, auprès du Conseil de Sécurité, d'une instance indépendante d'évaluation des situations humanitaires constituerait un progrès sur le chemin de la transparence des opérations de maintien ou d'imposition de la paix.

-La Charte rénovée pourrait encourager les membres permanents du Conseil de Sécurité à ne pas recourir au veto lorsque le Conseil serait amené à traiter de graves atteintes aux droits de l'Homme (qui auraient été évalués par l'instance indépendante). Ainsi pourrait naître une véritable obligation d'intervention de la communauté internationale, sur mandat du Conseil de Sécurité.

-Pour les Juristes du XIXème siècle, la "protection d'humanité" était la seule intervention armée licite. Elle se fondait sur "une lésion de la société humaine", la violation des droits humains fondamentaux. De telles situations se multiplient dans le monde de l'après guerre froide. Comment se tenir à la règle traditionnelle de consentement de l'Etat directement concerné lorsque cet Etat n'existe plus, que son appareil s'est effondré, que la sécurité des personnes vivant sur son territoire n'est plus assurée? Après l'évaluation de l'instance indépendante, la qualification de "protection humaine" par le Conseil de Sécurité donnerait une légitimité solennelle à l'intervention de la communauté internationale et à l'établissement d'une sorte de protectorat international.

Au-delà,une conférence de refondation de l'organisation mondiale pourrait comporter QUATRE autres POINTS, à son ordre du jour:

-L'élargissement du Conseil de Sécurité par l'entrée comme membres permanents de "puissances régionales", sur lesquelles un consensus continental serait réalisé, sur le Brésil, par exemple, en Amérique Latine, ou, à défaut, par l'entrée des grandes organisations continentales, l'Union africaine, l'Organisation des Etats américains et une organisation asiatique à créer.

-La création d'un Conseil de Sécurité Economique, à partir des actuels Sommets des pays les plus industrialisés.

-La création, à côté de l'Assemblée Générale, d'une seconde chambre consultative représentant la société civile internationale: centrales syndicales internationales, internationales, politiques, grandes organisations scientifiques, culturelles, économiques, confessionnelles.

-La mise en place d'un "Observatoire de la Démocratie",auprès du Conseil de Sécurité.Dans le cas de crise ou de rupture de la démocratie dans l'un des Etats membres,le Conseil pourrait lancer un avertissement public aux autorités de l'Etat concerné, puis prononcer l'exclusion de l'Etat récalcitrant jusqu'au rétablissement des libertés fondamentales. Ainsi l'ONU deviendrait réellement, selon le projet formulé il y a deux siècles par Emmanuel Kant, une "Société des nations républicaines".



II / Pour une rénovation des Nations-Unies

Charte amendée des Nations Unies. Propositions du groupe de travail "Perez de Cuellar"

Sous la houlette de l'Ambassadeur Javier Perez de Cuellar, ancien Secrétaire Général de l'ONU, un groupe de travail ad hoc a rédigé un projet de "Charte amendée" pour ladite organisation.

Ce groupe était constitué, outre son Président, par quatre membres permanents, le Professeur Charles Zorgbibe, Professeur en Sorbonne, ancien Recteur; le Professeur Jacques Soppelsa, Président honoraire de l'Université de Paris Panthéon-Sorbonne, Président de l'Académie Internationale de Géopolitique; l'Ambassadeur André Lewin, ancien porte parole du Secrétaire Général des Nations Unies et Monsieur Mikhaël Lebedev, Professeur à l'EHEI, avec la collaboration es qualitésd'observateurs invités, comme Monsieur Hassen Fodha, Directeur du Centre Régional d'information des Nations Unies àBruxelles, Madame Patricia Mamet, Juriste, Directrice de Relations Institutionnelles , Madame Ann Parkhouse,de l'Université d'Högskolan, en Suède, et du Docteur Jean Daniel Aba,Professeur à l'Université de Yaoundé.

Les propositions du groupe (outre la suggestion de supprimer notamment le Conseil de tutelle et les mentions "états ennemis") ont porté sur ONZE points:

A) l'inclusion de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et des Pactes relatifs aux Droits de l'Homme dans les principes fondamentaux;

B) l'inclusion dans la Charte de la "responsabilité de protéger";

C) le remplacement de l'exclusion d'un Etat membre par sa suspension et sa mise en observation

D) un statut automatique d'observateur pour un pays candidat dont l'admission serait bloquée par un veto ou par une absence de majorité;

E) des références à la "société civile"

F) des références "aux peuples autochtones";

G) le renforcement et la diversification des mesures que peut prendre le Conseil de sécurité en matière d'opérations de maintien de la paix et des sanctions

H) le remplacement du "Conseil économique et social" par un "Conseil de Sécurité économique et social";

I) le renforcement du rôle du Secrétaire Général, notamment au plan de la coordination des institutions de la Famille des Nations Unies;

J) la mention du consensus comme mode souhaitable d'adoption des résolutions, tant par l'Assemblée Générale que par le Conseil de Sécurité;

K) et, surtout, une réforme drastique du Conseil de Sécurité.

Sur ce dernier point, le groupe de travail propose le maintien des cinq membres permanents originaires dotés d'un droit de véto individuel; la nomination de neuf membres permanents nouveaux (qui devront se regrouper par trois pour exercer leur droit de veto) et l'augmentation à quinze du nombre des membres non permanents.

Les nouveaux membres permanents pourraient être l'Allemagne ou l'Italie, le Japon, l'Inde, l'Afrique du Sud, le Brésil ou l'Argentine, l'Egypte, l'Indonésie et le Mexique.

L'ensemble de ces propositions a été porté à l'attention du Secrétaire Général de l'Organisation des Nations Unies.